lundi 10 décembre 2012

La stratégie du mental

          Avant tout, nous devons définir dans quel sens nous utilisons le terme mental. "Mental" désigne la faculté de penser prise en otage par l'ego. Cette partie du fonctionnement de l'esprit est détournée au service de la défense de l'idée du "moi". Elle est donc, parasitée, détournée par la peur de la disparition de l'ego. Cette pensée n'est plus objective pour rendre compte de la réalité. L'émotion, consciente ou inconsciente colore ou travestit le regard sur la réalité et même propose une version imaginaire de la réalité. Il n'y a aucune objectivité, aucune rigueur à attendre de ce mental. On ne peut pas lui faire confiance. C'est pourquoi la rigueur et la vigilance sont indispensables dès qu'on aborde le domaine de l'enseignement.

          Dès l'instant où vous entendez une phrase, en particulier dans le cadre de l'enseignement, il faut se demander de quel lieu cette phrase est entendue. Tout se joue là.

          Généralement, le réflexe du mental, dans la seconde qui suit, va consister à filtrer tout ce qui est inattendu, imprévu, tout ce qu'il ne peut pas contrôler. Il va élaborer une interprétation négative de cette nouveauté. Il décide qu'il s'agit d'une nouvelle expérience désagréable, inconfortable, et s'empresse de la refuser pour tenter de la remplacer par un autre état plus rassurant. Cet état, il sait très bien le reproduire. Il lui suffit de créer un jugement qui discrédite cette expérience à priori désagréable.

           Le mental garde toujours à sa disposition toute une série de références, d'associations de pensée qu'il utilise pour former un barrage contre la possibilité que cette nouvelle information vienne le perturber et remettre en question l'existence fictive de l'ego.

           Il est très habile pour brouiller les pistes. Si vous commencez à l'écouter, ce que nous faisons en permanence sans le savoir, au bout de quelques phrases, vous ne savez plus de quoi il était question au départ. Et le tour est joué. Il a gagné. Il vous a roulé dans la farine. Vous vous êtes faits complètement enfumés. C'est le mental qui fait la loi. Tout est une question de vigilance. Si vous êtes suffisamment présents à vous-même vous le verrez venir aussi rapide soit-il. Ses interprétations de la réalité n'auront plus aucun effet hypnotique  sur vous, et l'intuition de l'intelligence du vivant sera alors pleinement disponible.

           Il suffit de regarder comment cela se passe. A chaque instant, il faut vous demander de quel lieu vous écoutez, où vous vous situez. Ce n'est qu'à partir du silence que vous êtes que vous pouvez réellement entendre ce qui est dit. Ici, il ne vous est pas demandé de vous retourner vers le passé, pour y découvrir des secrets enfouis qui seraient la cause de votre malheur. Ici, il ne vous est pas demandé de vous projeter vers l'avenir pour mieux réussir dans la vie, ou d'aider vos proches, ou de devenir quelqu'un de bien. Il ne vous est pas demandé de devenir plus intelligents, plus forts, plus courageux, meilleurs.

           Il ne vous manque rien. Vous êtes complets tels que vous êtes. Ici, il ne vous est pas demandé de faire une nouvelle expérience. Il vous est seulement proposé de ne plus faire ce que vous passez votre temps à faire, c'est à dire faire des expériences en oubliant celui qui fait des expériences. Il vous est simplement proposé de ne pas oublier celui qui fait l'expérience.

           Ici, là, maintenant, vous pouvez apprécier la qualité très particulière de cet espace vivant que vous êtes. Cet espace est vide, sans limite, silencieux, paisible, libre. C'est cela que nous ne pouvons même pas partager, car c'est ce que nous sommes, c'est notre nature même. C'est ce "je suis" qui n'appartient à personne.

mercredi 17 octobre 2012

Eveil et réalisation


     La représentation de la forme individuelle créée par le mental est comme le trou noir dont parle les astrophysiciens. Cette représentation aspire en elle la conscience, l'absorbe, la cristallise. C'est ce que l'on appelle l'ego. Cela a toutes les apparences d'une restriction de l'infini à une forme limitée.

     Lorsque cette force d'aimantation de la conscience vers cette représentation particulière se relâche, parce que cette force est reconnue comme le goût même de la conscience, alors la conscience n'étant plus enfermée dans une représentation individuelle exclusive, redevient ce qu'elle a toujours été, ce qu'elle n'a cessé d'être malgré les apparences, c'est à dire pure présence. La réalité déroule pour elle-même son propre spectacle sans qu'il n'y est personne pour y assister.

     Alors il n'y a plus ni intérieur  ni extérieur, ni avant ni après.
Ce processus au cours duquel la conscience est libérée de l'identification à une représentation particulière, le moi, constitue un événement, un phénomène qui arrive, dont on peut faire le récit après coup. Mais il s'agit toujours d'une expérience. L'éveil attire les chercheurs car il s'agit d'une expérience radicalement nouvelle et le mental est attiré par la nouveauté.

     La réalisation, elle, n'est pas une expérience. Elle n'est affectée ni par l'identification ni par l'éveil. Elle inclue ces deux aspects. La réalisation, on préfère généralement la laisser de côté, elle met mal à l'aise, elle donne le vertige. Le mental a horreur du vide. C'est la nuit obscure, la mort à soi-même, l'extinction de toute image de soi. Le réflexe de se raconter une histoire à propos de ce qui arrive pour lui donner du sens n'est plus indispensable à la survie du moi. Il n'y a plus rien à défendre. Alors, prendre conscience qu'il n'y a personne qui prend conscience,  que l'on ne sait rien de ce qui est, suffit pour se trouver au coeur de ce qui est. 

     La réalisation, on ne peut rien en dire puisqu'elle réduit à néant la notion même d'histoire aussi bien personnelle qu'universelle. Il ne s'agit pas de nier la légitimité de cette histoire qui est à la base de la construction de la personnalité et de toute culture. Mais simplement de constater qu'elle présuppose les catégories de temps et d'espace, qui, elles sont relatives. Le temps et l'espace ne sont donc d'aucun secours en ce qui concerne l'interrogation sur l'immédiateté, c'est à dire sur le fait d'être. L'insistance avec laquelle nous construisons un récit de notre vie finit par faire de nous l'objet de notre récit. On peut apprécier avec quelle maestria nous nous sommes manipulés nous-mêmes en faisant de nous les personnages d'une fiction, alors que nous aspirions à devenir des êtres libres.

     Peut-on échapper à ce subterfuge du mental, ou est-on condamné à demeurer les esclaves de ce fonctionnement mental, c'est à dire de nous-mêmes ?

     Vu du point de vue de l'identification à la représentation d'une entité séparée, la réalisation ne peut être qu'une idée qui apparemment détourne ce qui est de ce qui est.
Ce n'est qu'à l'intérieur de la description que nous nous faisons de la réalité, qu'il existerait un événement appelé réalisation. En réalité, il n'en est rien.

     L'idée de progrès sur le chemin de la recherche de la vérité n'est qu'un alibi pour conforter ce récit illusoire que nous nous faisons à chaque instant de nous-même. Défendre la nécessité de la recherche, ou affirmer l'inutilité de la recherche, ces deux positions sont les deux faces d'une même pièce, la pièce de monnaie de singe du moi. Ces deux attitudes ne tirent leur importance que du moi. Le sérieux avec lequel elles sont prises confirme l'apparente existence du moi. Mais le sérieux, loin d'être condamnable, a tout à fait sa place. Il a une fonction très précise de révélateur de son contraire, la futilité. Appliqué à la réalité quotidienne, il agit comme ce produit de contraste que l'on injecte dans un corps pour mettre en évidence les traces d'une maladie.

     On peut en dire tout autant du dilettantisme. L'amateurisme, le laissez-aller constituent un autre mode d'investigation de la réalité. Le sérieux, la rigueur, comme l'oisiveté,  le dilettantisme, peuvent apparaître comme des modes d'exploration de ce qui est par ce qui est. Cette dernière phrase provoque-t-elle une réaction?
Arrivé à ce point de la tentative de description de la recherche spirituelle, il est temps de dévoiler l'arrière scène de cette description. Tout ce qui vient d'être dit est faux. En effet, pour être entendu par le mental, la recherche a été décrite du point de vue du moi, sinon le mental n'aurait disposé d'aucun point de repère pour fixer son attention. Mais cette entité supposée n'est pas réelle. Donc rien de ce qui vient d'être dit n'est vrai. La réalisation ou la libération n'est pas personnelle. De même que la recherche n'est pas personnelle malgré tous les efforts que vous êtes persuadés d'avoir fait depuis des années.

     Et enfin, pour aller plus loin dans l'horreur, le moi lui-même n'est pas personnel car il n'  y a personne pour avoir élaboré obstinément durant toute une vie, cette fiction si attachante.
Voilà, après ces trois nouvelles totalement inaudibles, vous pouvez, soit prendre un cachet d'antidépresseur et aller vous coucher, soit sauter de joie, sortir, danser dans la rue en embrassant tous les passants. Mais, dans tous les cas de figure, il n'y a aucune inquiétude à avoir. Cette chère personnalité, si riche, si précieuse, s'exprimera d'une manière ou d'une autre, que vous ayez ou non la croyance qu'il existe un vous pour décider.

      Il se trouve que la question à propos de l'immédiateté de l'être apparaît comme jaillissant elle-même directement de cette immédiateté. Il y a prise de conscience qu'il n'y a personne qui prend conscience. Le syndrome généralement constaté est un immense éclat de rire. Il n'y a pas d'autre à "être". La simplicité à être est alors une évidence.

jeudi 20 septembre 2012

A propos des rencontres...


      N'attendez pas qu'on vous raconte des histoires, surtout pas l'histoire de celui que vous venez rencontrer.
Lorsqu'une histoire rencontre une autre histoire, ça finit toujours par faire des histoires. Car toute histoire à pour but de faire exister celui qui la raconte. Le moi, en même temps qu'il crée une représentation qu'il croit réelle, en devient au moment même un effet induit.

     Lorsqu'une histoire rencontre ce qui est, c'est la fin de l'histoire. Aucune histoire n'y résiste, y compris l'origine de toutes les histoires, c'est-à-dire le moi. Même la fin de l'histoire fait partie de l'histoire. Mais tant qu'il y a une préférence pour se raconter des histoires à propos de ce qui est plutôt que le goût de se laisser rencontrer par l'intimité de la présence de ce qui est, alors il y aura toujours des histoires et même parfois de très belles histoires.
Les histoires, c'est bon pour endormir les enfants le soir. Quand vous aurez appris qu'untel  a suivi par exemple un enseignement auprès de tel ou tel maître, ça vous fera une belle jambe.
Penser est une fonction qui fait appel à la mémoire pour mettre en forme des informations, à propos de l'enseignement par exemple. Mais voir est possible quand tout est oublié, toutes nos croyances, y compris la dernière d'entre elles, celle de croire que nous n'avons plus de croyance. Ce n'est pas une affaire personnelle. Voir n'appartient à personne. Il n'y a personne pour voir. C'est pourquoi voir ne peut jamais être récupéré ou utilisé en fonction d'un but. Voir ce qui est, et ce qui est devient voir. Ce n'est pas une cause qui produit un effet, c'est simultané. Il n'y a plus de point de fixation, plus de représentation de moi ou du monde à laquelle se référer, plus rien à partir de quoi l'organisation mentale pourrait produire un semblant d'adhérence, un effet de trompe l'oeil qu'on appelle le moi. Avant d'être apparemment un chercheur qui croit chercher la réalité, nous sommes. L'ego est soluble dans ce qui est. Mais cela ne constitue pas un programme. Seule la pensée lui confère un statut à part de ce qui est. En réalité il n'en est rien. Donc aucune technique n'est proposée pour anéantir l'ego. Cette technique constituerait à son tour un moyen détourné par le mental pour assurer la survie imaginaire de cette crispation totalitaire qu'on appelle l'ego. L'ego est parfaitement légitime s'il reste à sa place en tant que fonction de coordination de la personnalité, et ne devient un problème que s'il est considéré comme une identité.